
CELEBRITE: NE VOUS FAITES PLUS AVOIR Joshua Bell dans le Métro
NE VOUS FAITES PLUS AVOIR/ LE RAPPORT A LA CELEBRITE. : Joshua Bell dans le Métro
En 2007, le violoniste de renommée mondiale Joshua Bell a participé à une expérience sociale organisée par le Washington Post. Quelques jours après avoir joué à guichets fermés dans une salle de concert de Boston, où les billets se vendaient à plusieurs centaines de dollars, Bell s’est installé incognito dans une station de métro de Washington D.C., avec son Stradivarius d’une valeur de plusieurs millions de dollars, pour interpréter des pièces classiques parmi les plus complexes du répertoire.
Pendant environ 45 minutes, Bell a joué devant des milliers de passants. Très peu se sont arrêtés pour l’écouter, et il a récolté un peu plus de 32 dollars en pourboires. Parmi les rares personnes à avoir prêté attention, un enfant, fasciné, que sa mère a dû tirer pour continuer leur chemin. Cette expérience souligne de manière saisissante le rôle du contexte dans la perception de la valeur artistique : dans une salle prestigieuse, les mêmes œuvres sont perçues comme inestimables, tandis que dans un environnement ordinaire, elles peuvent passer totalement inaperçues.
Les Galeries et le Rôle de l’Artifice
Cette histoire résonne fortement avec le fonctionnement des galeries d’art réputées. Tout comme la salle de concert valorise l’artiste et magnifie son talent aux yeux du public, les galeries jouent un rôle crucial dans la construction d’un artifice narratif autour des œuvres qu’elles présentent. Leur réputation, leur emplacement prestigieux, et leur storytelling soigné créent une perception de légitimité et d’excellence qui influence profondément la manière dont le public reçoit et juge une œuvre.
À l’image de Joshua Bell dans le métro, une œuvre exposée dans une galerie de renom acquiert un statut qui dépasse souvent ses qualités intrinsèques. Le public, majoritairement non initié ou peu habitué à juger l’art par lui-même, s’appuie sur ces éléments extérieurs pour valider la valeur de ce qu’il contemple. Une œuvre vendue dans une galerie prestigieuse est immédiatement associée à une idée de sophistication et de distinction sociale. En revanche, hors de ce cadre, comme Bell dans le métro, l’art peut devenir presque invisible.
Le Jeu de l’Artifice
Ce jeu de l’artifice, où la valeur de l’œuvre est autant liée à son contexte qu’à son contenu, pose une question essentielle : l’art est-il perçu pour ce qu’il est ou pour ce qu’il représente socialement ? Tout comme les galeries racontent une histoire autour des œuvres pour séduire leurs clients, les passants du métro n’ont pas vu en Joshua Bell le virtuose mondialement acclamé, mais seulement un musicien parmi d’autres.
Cette réflexion nous invite à repenser notre rapport à l’art et à la célébrité, en questionnant l’influence des institutions et du storytelling sur notre capacité à juger par nous-mêmes. Car, en définitive, la valeur d’une œuvre, comme celle d’une performance, devrait résider avant tout dans son essence et dans l’expérience qu’elle procure au public des braves gens que nous sommes, indépendamment de l’artifice qui l’entoure.
sylvainloisant.org